« Bâtir la civilisation de l’amour : risquer, servir, aimer. »

Introduction :

En avril 1973, j’ai rencontré Marthe Robin pendant 55 minutes. A ma question sur l’engagement dans la politique des catholiques, Marthe m’a répondu : « Il est indispensable, mais dans votre cas pas avant que votre petite dernière (née six mois plus tôt) ait dix ans ! » J’ai obéi à sa consigne. En fait, cette réponse confirmait le message de l’Eglise, à savoir que la famille est la cellule sociale et religieuse, dont il faut s’occuper en toute priorité, ce qui permet de construire avec succès la société tout entière et de « bâtir la civilisation de l’amour ». Politique de la famille, culture de la vie, civilisation de l’amour, même combat ! Un combat, qui nécessite un engagement préparé, imprégné de la doctrine sociale de l’Eglise, prudent au sens de la vertu cardinale et persévérant malgré les difficultés et les attaques diverses.

Aimer, c’est s’engager.

Aimer est un acte de pur libre arbitre. Personne, même pas Dieu, ne peut contraindre à l’amour. Il repose donc sur :
l’intelligence, pour discerner le Bien du Mal.
La volonté pour s’engager pour le Bien et s’interdire le Mal. Aimer le prochain, dans la vie personnelle ou dans la vie sociale, c’est vouloir le Bien de l’autre.

Il ne peut y avoir de civilisation de l’amour, qui ne repose sur une anthropologie solide. L’anthropologie chrétienne est cohérente et elle a le mérite d’être accessible à la raison et de répondre au « mode d’emploi de l’homme », à l’ordre naturel. C’est pourquoi, dans « Pacem in terris », Jean XXIII pouvait appeler tous les hommes de bonne volonté à construire avec les chrétiens cette civilisation de l’amour. Il retournait ainsi l’appel de Maurice Thorez, chef du Parti communiste français, appelant dans les années 30 les travailleurs chrétiens à venir collaborer à la lutte des classes. L’agnostique, qui collabore à la construction de la civilisation de l’amour, a des chances de (re) trouver la foi. Le chrétien, qui collabore à la lutte des classes, a des chances de la perdre !

Aimer, comme l’a dit Benoît XVI, c’est mettre en tête le don de soi (agapè), qui féconde l’amitié (philia) et évite que le désir d’être aimé (eros) ne tourne à la possession et à la domination de l’autre. Aimer implique d’ordonner dans la nature complexe de l’homme, l’esprit fait à l’image de Dieu, l’âme sensible et le corps animal. L’amour conjugal, qui fonde la famille et lui donne sa stabilité, ne commence qu’à l’engagement (devant témoins) et peut alors s’exprimer dans les « langages de l’amour », l’affectif et le charnel.

La passion unit la pratique des deux langages de l’amour sans l’engagement du « poste de pilotage », intelligence et volonté. Elle fonctionne dans le fusionnel et non dans la communion des personnes, prises dans leur totalité, et sa durée est limitée, disent les sociologues réalistes (confirmés par les journaux féminins) de 3 ans ! Etonnons-nous qu’il y ait 3 fois plus de rupture dans les liaisons et cohabitations diverses que dans les mariages précédés de fiançailles chastes.

Aimer c’est risquer.

Toute la vie est risque, puisque l’avenir ne nous appartient pas. Mais risque ne veut pas dire danger, risque signifie possibilité de dangers mais également d’opportunités fécondes. Ne pas décider par peur, c’est refuser la vie réelle et passer forcément à côté des opportunités fécondes. Il faut donc surmonter la peur, irrationnelle puisque l’avenir est inconnu, et s’ancrer dans le rationnel. En utilisant la raison, il est possible de minimiser les dangers et de maximiser les chances : la vertu de prudence repose sur les facultés de discernement que le Créateur a semées en nous et que nous pouvons développer avec l’expérience, la formation, l’écoute, la circonspection, etc. Aimer, le Dieu Créateur des hommes et des anges en sait quelque chose, est un risque. Dieu est Amour par essence, Il a créé des êtres doués du libre arbitre pour que ces créatures puissent aimer par choix puisqu’elles ne le pouvaient par nature, n’étant pas Dieu. On connaît le résultat, que ce soit dans l’instantanéité (les anges) ou dans la durée (les hommes), le choix libre est et a été acceptation ou refus. Dans les engagements humains envers l’autre, le risque est le même, acceptation avec tout ce que cela entraîne de fécondité, refus avec tout ce que cela entraîne de culture de mort. L’engagement dans la construction de la civilisation de l’amour est donc un acte d’amour, un acte à risque.

Aimer c’est servir.

Aimer c’est servir et non…se servir. Comme le dit le Christ, « Je suis venu pour servir et non pour être servi ». Pour la personne humaine, le service est une habitude à prendre dès le jeune âge. C’est donc potentiellement le produit d’une éducation, c’est-à-dire d’un conditionnement familial, dont les résultats ne sont jamais garantis ! Les parents ont obligation de moyens mais pas obligation de résultat. La famille étant la première cellule de société, elle prépare l’enfant à servir ultérieurement dans toute la vie sociale, entreprises, écoles, associations, hôpitaux, communes, etc. jusqu’au niveau politique si on en a la capacité. La famille doit apprendre que servir est toujours un honneur pour celui qui sert.

En conclusion La doctrine sociale de l’Eglise (cf. le Compendiumde la doctrine sociale de l’Eglise publié en 2005) montre bien toutes les dimensions et tous les domaines des services à rendre pour que se construise la civilisation de l’amour. Elle incite les chrétiens à se former et à agir, chacun à son niveau et avec ses charismes et compétences. Le terme même de doctrine montre qu’elle n’est pas facultative : tous les chrétiens sont appelés à s’engager pour ce service de l’amour qui, comme tout acte humain, est un risque. Mais la vie est risque et ne pas risquer c’est opter pour la civilisation de mort. Bâtir, servir, aimer, c’est opter pour la vie.

P. Y. Bonnet

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